1873 : le voyage en Algérie
L'histoire d'Arsène Flühr, quadrisaïeul de Laurent, fondateur de la marque, est celle de nombre d'Alsaciens jetés sur les chemins de l'exode suite au conflit franco-prussien. A la faveur de l'annexion des deux départements de l'Alsace et de celui de la Moselle en 1871, les Alsaciens deviennent citoyens allemands. La clause d’option incluse dans le traité de Francfort les autorise néanmoins à conserver la nationalité française s’ils quittent l’Alsace-Lorraine, en laissant tous leurs biens derrière eux.
Si certains choisissent de rester dans les régions françaises limitrophes, notamment dans les Vosges), beaucoup choisissent d'entamer une nouvelle vie, à Paris ou en Normandie par exemple où certains s'emploient à devenir brasseurs ou tisserands, d'autres optent pour des territoires plus lointains, comme l'Algérie qui accueillaient depuis 1830 plusieurs générations d'Alsaciens déjà.
Ce sont près de 120,000 Alsaciens qui prennent la route de l'Algérie après 1870.
extrait du passeport d'Arsène Flühr pour Constantine
Avant le départ
Une commission à Belfort est chargée d'instruire les demandes et de vérifier la conformité des papiers des colons. Nous avons retrouvé le dossier d'Arsène Flühr aux archives départementales de Belfort : il se compose d'un double de son passeport, d'un certificat de bonne conduite, d'une déclaration de nationalité française, d'actes de naissance des membres de la famille ainsi que du mariage d'Arsène. Arsène part avec son épouse Véronique et leurs deux fils, Alphonse, âgé de 11 ans et Joseph, âgé de 9 ans.
Le voyage
Une fois accrédité par la Commission à Belfort, Arsène débute son voyage le 15 janvier 1873, à 16h45 avec le train de la Compagnie de l'Est à destination de Lyon. Arrivée le lendemain matin à 5h55 et après changement de compagnie, la famille arrivent à Marseille le soir à 18h30. De là, après s'être adressée au bureau de la Société d'assistance des Alsaciens-Lorrains, la famille d'Arsène est hébergée à une adresse qui recueille les émigrants pour une nuité à 1,50 Franc. Le lendemain, ils embarquent sur un bateau de la compagnie Valéry à destination d'Alger. Après 42 heures de navigation, la petite famille accoste à Stora, où elle prend un omnibus pour Philippeville. Arsène et sa famille font partie des huit familles arrivés en même temps, et aucun accueil n'est prévu pour eux. Ils sont finalement orientés vers Constantine où un membre du comité de l'association algérienne en faveur des immigrants alsaciens lorrains les amène finalement à destination. Beaucoup de détours, de fatigue et de dépenses pour des émigrants pratiquement sans ressources.
Extrait du dossier de concession Arsène Flühr - Archives Nationales d'Outre Mer à Aix en Provence
L'installation
En raison du caractère spécifique des circonstances de leur départ, les Alsaciens-Lorrains bénéficient dès 1871 de la "patriotique tendresse" d'un gouvernement qui désire leur faire retrouver en compensation, un peu de leur terre perdue où ils prendraient un nouveau départ, entièrement assistés par l'administration et aidés par les comités de soutien. Au séquestre des terres notamment en Kabylie suit l'installation de familles, notamment dans les zones à risque d'insurrections.
Arsène et sa famille s'installe à La Robertsau aux abords de Jemmapes, avec 19 autres familles alsaciennes. Le centre nouvellement créé est situé dans un vallon traversé par l'oued Fendeck. Il est alloué à Arsène un espace où sera construit un gourbi accolé à un petit jardin. Plus d'une trentaine d'hectares de terres agricoles composées de plantations d'oliviers, de figuiers et de tabac lui est attribué pour exploitation.
Vallon du Fendeck où se situe le village de La Robertsau en Algérie (aujourd'hui Azzaba)
Une exploitation difficile
Le défrichement constitue la première étape de la mise en exploitation, or seul un quart des terres allouées à La Robertsau est de bonne qualité. L'éloignement de certains lots le condamne à un départ matinal et à une journée aux champs, sous une chaleur persistante pour rentabiliser son exploitation. Une partie de son exploitation est certainement loué aux Arabes, contre la moitié ou le cinquième de leur récole, selon l'accord passé. Le matériel (charrue, herse), prévu par l'administration arrive tardivement et doit souvent être partagé. Le bétail octroyé est de surcroît, pas toujours très valide, et tombe malade bien souvent dès la première année. Et souvent les colons sont victimes de vols et de chapardages de la part d'indigènes, ce qui amenuisent encore plus leurs ressources.
Photo d'Alphonse Flühr, fils d'Arsène, 1905 - Collection familiale
Retour en Alsace
Une épidémie de choléra, et les insurrections fréquentes dans le village de La Robertsau auront raison de la volonté d'Arsène. Son retour se fait en 1878, cinq années exactement après son émigration, par les mêmes voies terrestres maritimes et fluviales. Il décédera en janvier 1879 dans son village qui l'a vu naître. Sa descendance évoluera dans le même vallon, et son histoire se transmet de génération en génération, jusqu'à inspirer le fondateur de la marque.